Dans ce méli-mélo de mes différentes vies entremêlées, j’ai bien conscience d’être très privilégiée ; un mari présent, une belle relation avec mes deux fils, une vie confortable par ailleurs avec la possibilité de réaliser des projets personnels. Et en même temps, c’est tellement dur et difficile d’être la maman de Charles qui chaque jour de sa vie est contraint à une réfection partielle ou complète de l’ensemble de ses pansements.
Dans cette oasis, une ombre surgit certains jours lorsque je retrouve Charles.
Se retrouver et …
Parfois, à son retour à la maison, Charles pleure ou râle et peste. Il a la sensation de ne pas être écouté par les infirmières ou bien il ressent une tension extrême autour de lui car une crise aiguë s’est invitée et ralentit tout le processus de soin. Dans ce cas, il a l’impression d’être malmené. C’est donc très difficile pour lui. Alors, je sers d’exutoire. Je suis son punching-ball. Je suis celle à qui il peut tout exprimer sans limites. Je me sens cependant dans une très grande solitude. Je l’écoute. Je suis là. Je suis présente. Et surtout pleinement impuissante. Et en même temps ma culpabilité vient me titiller et me murmurer à l’oreille “Ah ! Déléguer les soins”. Pourtant c’est nécessaire pour tenir dans la durée et permettre une scolarité même hachée. Et plus exactement, l’utilisation de certains anti-douleurs puissants nécessite d’être en milieu hospitalier. Oser confier son enfant à des inconnus exige un lâcher-prise et un détachement nécessaire qui ne va pas de soi. Comme il est né malade, le système de santé a exigé que je devienne son infirmière pour pallier à l’absence du système libéral. Donc, je suis devenue experte malgré moi. Pourtant cette expertise a du mal à trouver sa juste place face à de très jeunes infirmières sorties tout droit de l’école, ou encore, face à cette certitude des professionnels médicaux qui ont cette croyance qu’ils sont les seuls sachants.
Une réaction simplement viscérale
Ma colère surgit lorsque le système de santé ne permet pas de «prendre soin» puisque le leitmotiv est d’aller toujours plus vite, avec une formation technique très aléatoire combinée à toujours moins de personnel. La relecture des pratiques et l’accompagnement dans les situations complexes semblent réservés exclusivement à certains services très spécifiques. La place de la motivation semble compliquée lorsque le temps de travail instauré est de 12 heures d’affilée en contrepartie de 5 jours de repos… Pourtant les équipes soignantes sont face à des humains et non des objets. Cette équation a pour conséquence de provoquer de la souffrance en plus. Dure réalité, plus de temps devant l’écran et moins de temps avec le patient et des médecins presque tous à temps partiels et parfois sur plusieurs établissements de santé. Alors, mon sang ne fait qu’un tour car je trouve inadmissible que Charles puisse souffrir encore plus à cause d’une parole déplacée, d’un geste invasif qui insiste malgré l’injonction d’arrêter. Pourquoi les soignants n’arrivent-ils pas à mentaliser que Charles, tous les jours de sa vie, est obligé de faire des soins donc contraints, d’être ainsi dépendant, dans une grande vulnérabilité, de personnes qu’il n’a pas choisi ?
Où est l’empathie ?
La parole de l´enfant puis de l’adolescent n’est pas écoutée. Elle est banalisée. Elle n’est pas entendue ni comprise par l’ensemble du corps médical au sens large. Pourquoi une parole d’enfant serait moins importante que celle d’un adulte ? Se remettre en question semble bien difficile pour certains et pour d’autres sans doute une peur surgit d’essayer de faire autrement. Le sentiment d’échec ou l’effet miroir freinent l’échange. Pourtant oser tout simplement se concerter sur les bonnes pratiques semblerait THE solution et en même temps illusoire.
Charles aimerait tant et tant que ces mots comme «j’en ai marre », «arrête j’ai mal », «je n’en peux plus» soient entendus et pris en considération dans le prendre soin et non dans cette course infernale à aller toujours de plus en plus vite. La mémoire cellulaire est puissante. Lorsqu’ un soin ou un acte se déroule mal à cause de la douleur mal gérée, aussi la fois suivante, le corps a cette intelligence de réagir ou de surréagir. La peur de la douleur est plus forte que tout. Effet immédiat, il se bloque, il se braque ou ses veines se rétractent. Dans ce cas, le soignant ne comprend pas et ne trouve pas la bonne posture et encore moins les bons mots. L’impression que les gestes sont formatés pour des patients qui devraient être eux aussi formatés. En effet, faire autrement pose de réelles difficultés. C’est-à-dire, lorsque qu’un traitement n’existe pas, c’est accepter de reporter tout simplement. Une fois les soins terminés, les infirmières passent à autre chose ; alors que Charles, à chaque instant, chaque jour depuis sa naissance lutte contre sa maladie chronique qui ne connaît ni traitement ni répit… C’est vraiment dommage… Que faire ? La vision et la notion de cette durée dans le temps est rarement considérée par le corps médical.
Quelles solutions envisagées ?
Comment faire prendre conscience qu’un petit pas sur le côté pourrait tout changer et apporter un peu de douceur dans son quotidien ? Hélas la formation n’est pas axée sur le patient atteint de maladie chronique et de surcroît sans traitement. Leur posture est d’être dans le curatif avant tout. Trop souvent elles restent dans le soin purement technique en négligeant toute la prise en soin globale. Faire fi, que les parents deviennent experts comme de ne pas vouloir faire équipe est dommageable. Pendant les longues années d’études de médecine ou d’infirmière, trop de notions comme la psychologie, la communication, l’annonce de diagnostics sont absentes du programme. Un vrai désert ! Du coup, Charles en subit pleinement les conséquences. Une médecine moins allopathique et tournée vers l’holistique permettrai d’épauler dignement les patients. Sur le long terme, nous aurions tant à gagner à mutualiser nos savoirs et nos compétences. Avec le temps et les expériences, certains médecins ou certaines infirmières développent heureusement cette écoute particulière. Nous leur en sommes extrêmement reconnaissants pour cette aptitude rare qu’elles ont su mettre à profit.
Nous sommes les seules personnes à être avec eux de longues heures consécutives et dans la durée. Un jour après l’autre, des mois puis des années où nous sommes les témoins privilégiés de leur maladie, de leur malaise comme de leurs douleurs sans oublier toutes leurs victoires. Alors que le personnel soignant ne passe auprès d’eux qu’une voire deux heures, ensuite ils vaquent à d’autres occupations… Aussi nous avons l’avantage de cette vision globale à 360 degrés qu’il persiste à ignorer.
Je lis ou j’écoute à la radio ou des podcasts où j’entends et constate que les choses semblent enfin changer et bouger alors mon combat n’aura pas été vain et me conforte pleinement dans mon discours de faire autrement pour accompagner un malade atteint de maladie rare chronique et sans traitement ainsi que sa famille.
Emmanuelle Rousseau
Nantes, Octobre 2021
Auteur de « Drôles de bulles » aux éditions Salvator
http://www.drolesdebulles.fr/
Tout à fait d’accord Emmanuelle.
De tout coeur avec toi, je t’embrasse.
Catherine
Merci beaucoup Catherine
A quand une médecine intégrative pratiquée par tout le personnel soignant ???
Une avancée beaucoup trop lente malheureusement !!!
Chapeau bas Emmanuelle pour ton courage au quotidien et la force de témoigner.
Charles est un héros 🦸♂️ dans son combat quotidien. Et un petit être délicieux 🥰
Doux baisers 😘