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La journée nationale des aidants

Aujourd’hui, 6 octobre 2022 est THE journée nationale dédiée aux aidants familiaux.
C’est la 13e année où la lumière est mise sur nous, les aidants familiaux trop souvent invisibles et incompris par notre entourage comme par le corps médical. Pourtant, nous sommes  la colonne vertébrale du système de santé. Je suis devenue l’aidant familial de Charles parce qu’il est né avec une maladie au nom barbare «d’épidermolyse bulleuse dystrophique ». Une  maladie dite chronique et rare, trop souvent évolutive en l’absence de traitement, donc incurable  avec cette particularité de faire des crises aiguës et bien entendu de manière imprévisible !

ordi couteau

Être aidant implique quoi précisément ?

Est-ce avoir la chance de s’occuper de son enfant au quotidien ? Non ! En matière sociale en France, une personne est considérée comme aidant familial lorsqu’elle s’occupe quotidiennement d’un proche dépendant, handicapé ou malade et quelques soit son âge.

 

Et finalement, qui est concerné ?

Nous sommes 11 millions d’aidants, dont 57% de femmes, 54% n’ont pas conscience de leur rôle, 46% ont arrêté de travailler comme moi, ou réduit leur activité professionnelle, ou encore ont aménagé leurs horaires. Comme 31%  d´entre eux  j’en ai oublié ma propre santé et j’en subis encore les effets aujourd’hui de cette négligence dont les traces sont indélébiles à ce jour.
À la naissance de mon second fils, ma vie a basculé, mon projet professionnel est parti en éclats et mes rêves se sont envolés aussi. Et pourtant…l’image qui me vient, c’est d’être à la fois Shiva et une femme bionique ! En ce jour dédié à mon activité cachée, j’en profite pour te raconter en quoi consiste mon rôle d’aidant familial depuis plus de 15 ans. Mes 20 années d’activités professionnelles du siècle dernier m’ ont énormément aidée et soutenue au quotidien pour mener tambour battant ma mission d’aidant familial dans la vie de tous les jours.

 

La fiche de fonction d’aidant familial – en tous cas, la mienne – peut s’écrire ainsi.
Je distingue deux grandes parties, la mise en œuvre et la gestion.

La mise en œuvre :

Je suis comme un chef de projet avec trois  grandes missions.
 –  La première  est de mener dans la durée «le projet de vie» et «Le projet de soins ».
 – La deuxième est d’offrir des vacances et se transforme alors en «projet de vacances» puisque chaque déplacement, loin ou à côté de la maison, nous oblige à emmener un hôpital de campagne dans nos bagages.  Alors, la voiture ne  semble jamais assez grande.
 – La troisième est «le  projet scolaire». Ce dernier n’est pas de la rigolade entre la compréhension de tous ces acronymes et leur interdépendance. Entre l’AVS*, l’éducation nationale et les réunions d’ ESS* il y a de quoi se perdre en route. C’est l’illustration même des situations kafkaïennes !

 

Avec le temps et par la force des choses je suis devenue experte par l’acquisition de connaissances pointues sur la maladie Épidermolyse bulleuse, les dispositifs de santé maladie rare, le handicap, les ALD et les aides à domicile. Cela implique une maîtrise du système global de la prise en charge médicale et non médicale de Charles avec l’inconvénient que mes interlocuteurs sont dans leur mono spécialité et moi avec une vision globale, d’où une incompréhension de nos besoins.

 

Je suis devenue infirmière sans en avoir le diplôme.
J’ai réalisé les bains médicalisés jusqu’en 2012 puis la réfection des pansements jusqu’en 2017. Je pratique donc les actes de soins infirmiers avec la gastrostomie, les médicaments, la gestion des crises aiguës, l’accompagnement sur tous les sites hospitaliers comme à l’ESEAN*, ou pour ses prises de sang, ses vaccins et tous ses rdv au CHU pour ses dents, ses yeux, ses perfusions de fer avec des interlocuteurs différents et sans oublier tous les différents suivis…

les pansements pour un bain

La gestion :

L’autre grande tâche est de gérer et de suivre comme un secrétariat général de PME tout cet ensemble qui s’articule autour de quatre pôles:
 – Le premier est la coordination : faire le lien entre tous les acteurs au sein de l’ESEAN et toutes les autres personnes des structures médicales et administratives, soit 30 personnes, dont 12 médecins pour chaque organe malade ou défectueux.
 – Le deuxième est la logistique avec les stocks de médicaments, l’alimentation entérale (entre les poches, les tubulures, les raccords..), les pansements à gérer, à découper. Tout est à commander, à réceptionner, à ranger, sans oublier de  contrôler les périmés et la mise à jour de  toutes les modifications de traitement. La surcharge mentale est souvent importante.
 – Le troisième est la préparation et ma présence à toutes les réunions entre celles  du médecin référent,  les réunions de synthèse, de soutiens  et d’ESS, ..etc…
 – Puis le quatrième regroupe  toutes les tâches administratives entre gérer les plannings des rdv médicaux, de l’assistante de vie ou de L’HAD* puis les horaires des ambulances, régler les factures, demander les attestations de présences et les devis, sans omettre l’énorme dossier MDPH* –le fameux sésame– et Conseil Général qui tombent comme des coups de massue.

« Nous menons en permanence deux combats comme dit Juliette Lachronique* “Alors que nous sommes déjà essoufflés et sonnés par le parcours du combattant médical, il est nécessaire de trouver encore d’autres forces pour encaisser les coups qui tombent inlassablement de l’administration”.

Tout changement dans l’emploi du temps nécessite un réajustement auprès des uns et des autres. 
Ma vie quotidienne est interrompue par des mails, des SMS, un tiers à accueillir ou encore prodiguer un soin médical et parfois faire de la médiation entre les différents interlocuteurs.

pile dossiers

Oh !  Si tu savais,  ma vie est bien différente de celle que tu imagines.

J’avance sur des sables mouvants depuis 15 ans, avec comme principale compagne l’incertitude. Je fais face à des choix cornéliens dans des situations bien souvent alambiquées. Je m’arrange très souvent avec le calendrier. Je renonce à bien des projets personnels. Notre famille est  rendue vulnérable non pas par la maladie, mais par l’amour que nous portons à Charles et par l’exposition à la souffrance. 
Regardons en face, car la maladie au long cours est un fardeau. La preuve, l’association DEBRA a publié ces chiffres : 59% déclarent ne pas y arriver, 90% confient penser à la maladie de leur enfant toute la journée et 88% avoir peur pour l’avenir de leur enfant.
C’est l’Amour pour notre enfant qui nous mène à un dépassement de nous même permanent. À cette équation viennent se rajouter des nuits sans sommeil réparateur avec comme résultat  au bout de 14 années des problèmes de santé de l’aidant puisqu’il s’ épuise et craque  alors le burn out explose. Je sais que nos vies seront écourtées justement à cause de ce dépassement permanent, le stress, la peur qui nous rongent … cela donne à réfléchir.  Nous ne sommes ni de Super Héros, ni Spider Man alors l’épuisement physique et l’épuisement moral font leur œuvre. Sans oublier l’hypervigilance qui s’installe au fil des années et donne lieu à des crises récurrentes dans le couple et au sein de la famille. C’est encore une source énergivore puisque chacun réagit, chacun avance à son rythme et à sa manière.
Malgré cette énorme charge de travail, nous trouvons encore de l’énergie et menons à bien des actions pour récolter des fonds, accepter de répondre à des interviews de journalistes pour faire connaître la maladie tout comme de participer au film documentaire «Et les mistrals gagnants» ou encore avec l’écriture de mon livre «Drôles de bulles» et aujourd’hui avec ce blog. Je pense faire ma part de colibri.

Le système de santé actuel est organisé pour des maladies qui guérissent uniquement avec des patients qui se remettent vite et sans complication. A contrario, il existe de plus en plus de maladies chroniques et/ou des maladies rares qui demandent la présence d’un aidant sur du long terme. On peut penser dans les années à venir, qu’à un moment ou un autre nous serons tous aidants de quelqu’un, d’un parent, d’un conjoint, d’une sœur ou d’un frère, voire d’un voisin, ou de son enfant.

La vie est un perpétuel mouvement où tout change et tout passe.  Dans ma situation je suis très reconnaissante d’avoir trouvé en moi toutes les compétences et les talents nécessaires pour mener à bien ces tâches. Aujourd’hui, il m’est essentiel de prendre soin de moi alors je passe le relais à mon mari et à d’autres intervenants extérieurs.

Surtout que Charles  est le maître du jeu, comme le capitaine sur son navire !  Il grandit alors que sa prise en charge évolue…

Je célèbre et tire mon chapeau à tous les aidants reconnus ou ignorant leur condition, qui réalisent une honorable et très belle mission dont la société pourrait être plus reconnaissante et devrait permettre le choix d’endosser ce rôle d’aidant en accompagnant ou non notre proche.

 
couteau suisse

*Légende de la chronique :

ESEAN* Établissement de Soins pour enfant et adolescent Nantais – Soins de Suite et de réadaptation
ALD* Affection longue durée – AVS *Auxiliaires de Vie Scolaire – ESS* Equipes de Suivi de la Scolarisation
MDPH* Maison Départementale pour les Personnes Handicapées – HAD * hospitalisation à domicile

Juliette Lachronique  a fondé E-Norme, un réseau social destiné à favoriser l’entraide entre parents d’enfants en situation de handicap.
Les aidants en chiffres : IPSOS 2020 – Les aidants ont besoin de visibilité- Jean Boissonnat Ouest France septembre 2019
La maladie est un fardeau – enquête DEBRA 2021

 

Emmanuelle Rousseau

Nantes, octobre 2022

Auteur de « Drôles de bulles » aux éditions Salvator
http://www.drolesdebulles.fr/

2 commentaires sur “La journée nationale des aidants”

  1. Toujours aussi agréable de vous lire non par le contenu (c’est plutôt éclairant et on ressent un électrochoc à mieux comprendre votre vie) mais par votre écriture toujours précise et bien choisie.
    Courage à Charles et vous 🦋❤️‍🩹

  2. Je comprends tellement ta vie d’aidante. Je voudrais te réconforter avec ce petit message de soutien. Ta force insoupçonnée ne vient pas d’une capacité physique mais d’une Volonté indomptable ( Gandhi).Belle journée à toi.

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